1906 : LES INVENTAIRES D’ÉGLISE À PUGNY ET SES ENVIRONS (1ÈRE PARTIE)

Le 1er avril 1906, un grand rassemblement de 2000 hommes a eu lieu à Pugny. Organisée par l’union catholique cantonale de Moncoutant, cette grande réunion militante a marqué la vive opposition de la population locale aux inventaires liés à la loi de séparation de l’église et de l’état. Cet événement illustré par une carte postale s’est situé dans un contexte historique particulier que nous allons raconter ci-dessous.

Texte de la carte : réunion de la jeunesse catholique à Pugny, canton de Moncoutant, dans le bocage vendéen

La séparation de l’église et de l’état

A la fin du XIXème siècle, les dirigeants successifs de la troisième république, qui étaient pour la plupart athées et opposés à la puissance de l’église catholique, mirent en œuvre diverses lois pour en limiter l’importance.

En 1905, l’homme politique Aristide Briand défendit au parlement la loi de séparation de l’église et de l’état qui avait pour objectif de supprimer le concordat entre la France et le Vatican établit en 1801 par Napoléon. Les prêtres étaient à l’époque salariés par l’état qui possédait et entretenait tous les édifices religieux.

Cette loi fut votée le  3 juillet  1905 par 341 voix contre 233 à la chambre des députés , et le 6 décembre 1905 par 181 voix pour contre 102 au Sénat. Elle fut promulguée le 9 décembre 1905 pour entrer en vigueur le 1er janvier 1906.

Le problème des inventaires

La loi est rejetée par le Vatican et les autorités catholiques. Dans les faits, ce sont les inventaires conduits par les autorités républicaines pour décrire et évaluer les biens meubles et immeubles des églises (décret du 29 décembre 1905) qui vont provoquer des mouvements de résistance et des troubles graves.

La plupart des catholiques pensent que l’opération des inventaires est une profanation et une spoliation. En effet, suite aux saccages et démolitions de la période révolutionnaire ce sont les fidèles catholiques qui ont pris en charge la remise en état des églises : reconstruction, réparation, cloches, vitraux, mobilier…

Le 2 février 1906, une circulaire aux fonctionnaires des Domaines contient une phrase provocatrice  : « les agents chargés de l’inventaire demanderont l’ouverture des tabernacles », ce qui est pour les croyants un sacrilège.

Les violences dans le bocage autour des inventaires

Dans le nord des Deux-Sèvres et la Vendée, les inventaires provoquent des manifestations importantes de résistance active. Les fonctionnaires chargés des opérations doivent être accompagnés de gendarmes ou de l’armée. 

Nous avons pu retrouver des informations sur les événements suivants :

  • Le 10 février 1906, l’inventaire de Moncoutant s’effectue au petit jour en présence du préfet, du sous-préfet et d’une nombreuse troupe à laquelle résiste plus de 1000 paroissiens mobilisés depuis 6 jours. Les gendarmes doivent se saisir d’un bélier pour défoncer la porte de l’église. A la même date, une scène identique à lieu à Chanteloup.

  •  Le 13 février à Rorthais, M. Ameteau, agent des domaines,  a failli être lynché quand il a voulu procéder à l’inventaire.
  • Le 14 février, l’inventaire de Chatillon sur Sèvre (Mauléon) nécessite l’intervention des soldats du 77ème RI de Cholet. La porte de l’église de Saint Jouin sous Châtillon est défoncée avec un tronc de peuplier abattu par la troupe.

  • Le 15 février 1906, les gendarmes ont défoncé la porte de l’église des Aubiers à coups de bélier
  • A Terves, l’agent des domaines a été repoussé par la population et il s’est enfui sous les huées et les cris. Le 1er mars,  il a fallu l’intervention de cent gendarmes et 150 soldats du 77e R.I de Cholet pour finalement procéder à l’inventaire.

  • Le 2 mars, à Saint Amand sur Sèvre, les fidèles réussissent dans un premier temps à repousser les hussards. Puis les gendarmes chargent sabre au clair ! Quand ils attaquent enfin la porte de l’église, une pluie de pierres tombe du clocher. Trois gendarmes sont grièvement blessés à la tête et le sous préfet a bien failli lui aussi être assommé par deux pierres.
  • Le 5 mars il faut au Breuil Chaussée 120 soldats et 80 gendarmes, pour faire l’inventaire. 6 manifestants sont arrêtés et jugés le soir même, avec des peines variant de 10 jours à deux mois de prison !
  • Le 7 mars ont été brisées à coups de hache les portes des églises d’Argenton-Château, d’Étusson, de Saint-Maurice-la-Fougereuse. (extrait « Maraichine normande » Etusson : inventaire 7 mars 1906)
  • Certaines localités voient différer la « profanation » de leurs églises. Ainsi, l’inventaire de Pugny, Largeasse, La Chapelle Saint Laurent, le Breuil-Bernard, Trayes et la Chapelle Saint Etienne  sera  repoussé de quelques mois, une fois les esprits un peu moins échauffés.

Ailleurs en France, les inventaires font 2 morts.

Le phénomène de résistance active n’a pas lieu que dans l’ouest mais touche de nombreuses régions françaises. En Auvergne et dans le Nord, les incidents vont tourner au drame.

Le 3 mars 1906 à Montregard en Haute Loire, les gendarmes blessent gravement un manifestant (il mourra trois semaines plus tard).

Le 6 mars un père de trois enfants est tué par les gendarmes à Boeshepe dans le Nord. Ces terribles événements font tomber le gouvernement le 7 mars.

Clémenceau, l’athée anticlérical, apaise les esprits échauffés. 

L e nouveau gouvernement institué le 14 mars a pour ministre de l’intérieur Clémenceau, vendéen d’origine protestante très anticlérical.  Mais celui ci se rend vite compte que la situation est absurde et que les inventaires ne doivent pas provoquer de violence. Dès le 16 mars 1906, une circulaire aux préfets ordonne de  suspendre les opérations d’inventaire si elles doivent se faire par la force.

Clémenceau en 1906

Le 20 mars, alors qu’il ne reste plus que 5 000 édifices religieux à inventorier sur 68 000, Clémenceau déclare à la Chambre des députés  : « Nous trouvons que la question de savoir si l’on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine».

Cette décision pragmatique se fait dans un contexte dramatique. Le 10 mars 1906, avant la formation du nouveau gouvernement, un coup de grisou dans la mine de Courrières près de Lens (Pas de Calais) a fait 1099 tués. Il s’agit de la plus grande catastrophe minière jamais connue en Europe. Des grèves et des troubles très graves ont lieu dans le nord de la France pendant 2 mois. Clémenceau fait la paix avec les catholiques pour garder des troupes disponibles pour maintenir l’ordre…

La réunion de Pugny : une démonstration de force.

La réunion de 2000 hommes organisée le 1er avril 1906 à Pugny par les autorités catholiques se fait donc alors que la tension religieuse est en train de retomber. Il s’agit d’une démonstration de force qui vise à maintenir la mobilisation.

Article de la revue « Annales de la jeunesse catholique » du 1er mai 1906

Est-ce par coïncidence  ou par choix que cette manifestation  militante s’est produite à Pugny, dans la cour d’une ferme du village de La Rue? C’est en effet là que lors  de la révolte d’ août 1792 des milliers de paysans s’étaient rassemblés, premières étincelles des guerres de Vendée…

L’histoire ne se reproduit pas. La révolte de 1792 avait notamment pour cause les maladresses et le dogmatisme des nouvelles autorités  républicaines. En 1906 l’explosion de violence a été évitée  par le pragmatisme du plus républicain des vendéens…

Mais l’affaire n’est pas terminée. la suite dans un prochain article…

J-P Poignant

Merci à Rémy pour l’abondante documentation qu’il a mise à ma disposition.

Pour cet article, je me suis documenté :