La vie de Perceval de Coloigne. 3ème partie : le bienfaiteur d’institutions religieuses

Philippe CONTAMINE

Membre de l’Institut, ancien Président de la Société de l’Histoire de France.

De Chypre à la Prusse et à la Flandre, les aventures d’un chevalier poitevin : Perceval de Couloigne, seigneur de Pugny, du Breuil-Bernard et de Pierrefitte  (133?-141?)

3ème partie : Le bienfaiteur d’institutions religieuses  

En 1390, Perceval est encore signalé comme châtelain pour le duc de Berry de la ville et château de Fontenay-le-Comte[1].

On peut penser qu’à partir de cette date, ayant largement dépassé la cinquantaine, il résida de préférence dans l’une ou l’autre de ses seigneuries poitevines. Car il ne manquait pas de biens fonciers. C’est ainsi qu’un document sur papier de la fin du XIVème ou du début du XVème énumère une longue liste de « borderies », masures et tenures tenues « de mons. de Puygné es parroisses du Bruil Bernart et de Puygné »[2].

Il semble que, pour défendre ses droits ou ce qu’il considérait comme tels, il se soit montré plus procédurier, plus pugnace, que la moyenne des nobles de son temps et de son rang[3], Il eut de nombreux démêlés avec le puissant Louis de Beaumont, seigneur de Bressuire, dont il était le vassal pour plusieurs fiefs[4]. Notamment dans plusieurs « villages » et lieux- dits des paroisses du Breuil-Bernard, de Pugny, de Largeasse[5]  et d’ailleurs, le seigneur de Bressuire soutenait avoir seul la haute et la moyenne justice, ne reconnaissant à Perceval, qui manifestement ne se laissait pas faire, que la basse justice, la justice foncière et la « basse voyerie ». Un procès eut même lieu en 1391 entre Perceval et le connétable de France Olivier de Clisson. Ce dernier était entre autres seigneur et baron de Châteaumur[6]. Or Perceval tenait de la baronnie en question le fief du Breuil-Bernard qui lui venait de son oncle Hugues, frère de Geoffroy. Le connétable ne le contestait pas mais pour lui Perceval n’y avait ni haute ni moyenne justice, qui revenait au connétable « seul et pour le tout ». D’autant que « par la coutume du pays nul n’a haute justice s’il ne l’a du droit du baron ». L’argumentation du pugnace Perceval est différente : il est seigneur du Breuil-Bernard et de ses appartenances. Comme ses prédécesseurs depuis cent ans, il y détient haute justice, basse et moyenne et a d’ailleurs plusieurs plaids. Tout cela laisse penser à une certaine frustration. Perceval, en raison de son expérience, des offices qui lui avaient été confiés et de ses capacités, se rêvait sans doute un seigneur haut-justicier, un chevalier banneret, un baron, alors qu’il n’était qu’un chevalier bachelier, dont la demeure, à Pugny, ne devait avoir rien d’impressionnant[7].

Perceval de Couloigne n’en demeurait pas moins un bon chrétien, à la mode du temps. Ainsi le montre ce qui nous savons de ses fondations pieuses.

L’installation du couvent des carmes à Loudun [8] date des environs de 1334. Le terrain leur fut donné par Amaury de Bauçay, seigneur de La Motte-Champdeniers, la dame de Benais, Guillaume de Saint-Pierre et d’autres. Ce n’était là qu’un début. Un demi-siècle plus tard, en 1388, «très noble et très puissant seigneur Perceval de Couloigne, chevalier », seigneur de Pugny au diocèse de Poitiers, par révérence envers Dieu et sa glorieuse Mère, donna 100 livres monnaie courante pour achever l’édifice de leur église. En échange, les carmes de Loudun s’engageaient à dire chaque jour la première messe chantée avant la messe conventuelle pour lui, Jeanne de la Grésille, son épouse, et leurs enfants. D’autres services, plus légers et plus épisodiques, étaient également prévus. En mars 1411, frère Nicolas Pinaud, humble prieur local, et les autres frères du même couvent donnèrent et concédèrent à perpétuité à ceux qu’ils appellent leurs fondateurs une messe quotidienne, tantôt avec note, tantôt sans note, s’ajoutant à la précédente, cette fois pour le remède et le salut de l’âme de Pierre de Lusignan, jadis roi de Jérusalem et de Chypre : pieuse et touchante pensée ! En échange les fondateurs, en vue de l’édification de la salle du chapitre, avaient fait don de cent écus d’or du coin du roi[9].

Plus important encore apparaît le document du 13 décembre 1411 par lequel Perceval de Couloigne, chevalier, seigneur de Pugny, du Breuil-Bernard et de Pierrefitte, pour le salut et la rédemption de lui et de sa femme Jeanne de la Grésille (à cette date les enfants ne sont pas mentionnés), a ordonné, « pour contemplacion et augmentacion du divin service », avec la permission de l’évêque de Maillezais, de faire construire et édifier une chapelle au cimetière de Pierrefitte, auprès de la grande croix du dit cimetière appelée la chapelle de Toussaint. Dans cette chapelle seront célébrées perpétuellement chaque semaine trois messes, l’une, le lundi, des morts, l’autre, le mercredi, de tous les saints, la troisième, le samedi, de Notre- Dame. Là encore d’autres services s’ajoutaient. De quoi occuper raisonnablement un chapelain que lui ou sa femme ou ses successeurs seigneurs de Pierrefitte présenteront à l’évêque de Maillezais. Pour financer cette chapellenie, Perceval abandonne la dîme des blés, des bêtes et autres fruits qu’il peut avoir en commun avec l’abbé de l’Absie en Gâtine[10], soit douze setiers de blé ou environ, les dîmes des paroisses de Chiché[11] et de Clessé[12], les cens et rentes qu’il peut avoir à Airvault[13].

Chapelle de tous les saints de Pierrefitte (79) édifiée à partir de 1411 par Perceval de Coloigne.  Photo www.tourisme-deux-sevres.com

L’érudition poitevine date son testament du 10 mars 1407, auquel s’ajouta un codicille en date du 25 mai 1416[14]. Il dut mourir, octogénaire, peu de temps après. Sa plus grande tristesse fut sans doute de mourir sans descendance directe légitime[15], qu’elle soit féminine ou masculine.

Dans l’espace français du XIV° siècle, Perceval de Couloigne aurait pu être un chevalier comme bien d’autres : chambellan d’un prince des fleurs de lis, chambellan du roi, détenteur à tel ou tel moment de tel ou tel office, majeur ou mineur, répondant régulièrement aux semonces d’armes émanées de ses souverains seigneurs successifs, préoccupé de ses revenus dans une conjoncture économique franchement difficile, notamment pour le monde des seigneurs. Toutefois, quelques traits le font sortir de l’anonymat : le voyage de Prusse (une aventure plus rare commune, sans être pour autant exceptionnelle), la sagesse, l’ingéniosité, l’éloquence qui lui sont généreusement attribuées, et surtout le long séjour en Orient et dans l’île de Chypre, aux côtés de Philippe de Mézières, qu’il connut immanquablement : ce séjour aurait pu se prolonger et déboucher du même coup sur des responsabilités encore plus éminentes, sans le meurtre de Pierre de Lusignan. Grâce à Jean Froissart, à Guillaume de Machaut et à Jean d’Arras, on peut suivre sa trace, reconstituer son parcours, entrevoir quelques bribes de sa personnalité par d’autres sources que documentaires.

Philippe CONTAMINE

[1] AN, JJ 138, n° 118, f. 148vo. GUÉRIN, Recueil de documents, t.V, p. 413 (Archives historiques du Poitou, t. XXI, 1881).

[2] AD Deux-Sèvres, E 517. « Premièrement, a la Buschellerie une borderie de terre herbergée appelée la Buschellerie », etc. La plupart des noms de lieux cités existent encore. En 1764, le trésor des chartes du château de Pugny, appartenant alors au comte de Mauroy, lieutenant général des armées du roi, conservait entre autres pièces un aveu du seigneur de la Blanchardière (sic) à Perceval de Couloigne en date du 12 février 1386 (BNF, PO 80, dossier 1607, Appelvoisin, n° 86).

[3] AN, X1a 1472, f. 157ro : arrêt du Parlement de Paris de novembre 1384 pour un procès entre messire Perceval de Couloigne, d’une part, Pierre Brun et sa femme, d’autre part. Ibid., f. 359vo : arrêt du Parlement en date du samedi 18 février 1385 pour un procès entre Perceval de Couloigne, appelant, et le seigneur de Tonnay sur Vertune, défendeur. Ibid., f. 220 : arrêt du Parlement pour un procès entre Pierre Gabart et sa femme, d’une part, messire Perceval de Couloigne, de l’autre.

[4] AD Deux-Sèvres, E 517.

[5] Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, canton de Moncoutant.

[6] Châteaumur, faisait de fait partie de la « terre de Belleville », appartenait à Olivier de Clisson. J. B. HENNEMAN, Olivier de Clisson and Political Society in France under Charles V and Charles VI, Philadelphia, 1996. « Des habitans de la paroisse et terre du Brueil de Puigné, excepté la terre de Chasteaumur eu du Fié l’Evesque, V escus » (R. LACOUR,« Une incursion anglaise en Poitou en novembre 1412. Compte d’une aide de 10 000 écus accordée au duc de Berry pour résister à cette incursion », Archives historiques du Poitou, t. 48, Poitiers, 1934, p. 50. Voir aussi ibid., p. 101, dans le compte de la part imposée au Poitou sur l’aide d’un million accordée à Charles VII par les états généraux réunis à Poitiers le 1er novembre 1424 : « La parroisse et terre du Breuil de Puigny, excepté la terre de Chasteaumur et du Fief l’Evesque, XXX L.t. »). Le document signalé infra (une copie du XVIIIème siècle) parle de Châteaudun : mais sans doute est-ce une erreur pour Châteaumur.

[7] BNF, fr. 20684, p. 897. Copie classique. Plus tard seulement, un héritier en successeur de Perceval, Guillaume d’Appelvoisin, écuyer d’écurie de Louis XI, obtint de ce roi, sans doute grâce à Philippe de Commynes, seigneur d’Argenton, la permission d’instituer le jour de la saint Pierre une foire annuelle à Pugny et d’y édifier une « maison et place forte », munie, selon la formule classique, de tours, de murailles, de barbacanes, de portes, de portaux, d’un pont-levis, de boulevards, de douves, de fossés et de fausses braies, sans pour autant y obtenir le droit de guet et de garde, qui demeurait au seigneur de Bressuire. Archives historiques du Poitou, t. XLI (1919), p. 4-8.

[8] Vienne, arrondissement de Châtellerault, ch.-1. de canton.

[9] AD Vienne, 1 H 18, liasse 14, copie XVIIème siècle.

[10] Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, canton de Moncoutant.

[11] Deux-Sèvres, arrondissement et canton de Bressuire.

[12] Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, canton de Moncoutant.

[13] AD Deux-Sèvres, G 28. Airvault : Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, ch.-lieu de canton.

[14] H. BEAUCHET-FILLEAU, cit. Par ce codicille, Perceval de Couloigne, donnait aux curés du Breuil-Bernard et de Pierrefitte et au prieur de Saint-Pierre de Pugny à chacun un setier de seigle mesure de Bressuire (BNF, lat. 5450, f. 71ro).

[15] Bernard, bâtard de Couloigne, écuyer, donne quittance pour ses services de guerre à Paris, le 29 janvier 1416. Il avait sous ses ordres dix autres écuyers, en la compagnie de Jean Robert, écuyer, sous le gouvernement du comte Bernard d’Armagnac, connétable de France. Ecu burelé au bâton en bande brochant à la fleur de lys sur le tout, penché, timbré d’un heaume à lambrequins, cimé d’un col de cygne, dit DEMAY,0p. cif., n° 2860.