La vie de Perceval de Coloigne. 2ème partie : combattant de la guerre de cent ans.

Philippe CONTAMINE

Membre de l’Institut, ancien Président de la Société de l’Histoire de France.

De Chypre à la Prusse et à la Flandre, les aventures d’un chevalier poitevin : Perceval de Couloigne, seigneur de Pugny, du Breuil-Bernard et de Pierrefitte  (133?-141?)

2ème partie : Combattant dans la guerre de cent ans.  

En hommage à Michel Balard, je souhaiterais retracer la longue carrière de ce personnage à la fois exemplaire et inattendu, en allant un peu plus loin que la solide notice jadis établie par Paul Guérin dans l’un des volumes de la magnifique collection « Recueil des documents concernant le Poitou contenu dans les registres de la chancellerie de France »[1].

Perceval était issu d’une noble famille poitevine que l’on rattache habituellement à la localité de Coulonges-Thouarsais[2]. Son père, Geoffroy de Couloigne, chevalier, dont les armes, selon son sceau, étaient un burelé à la fleur de lys brochant, servit Jean le Bon en ses guerres du Centre-Ouest[3]. Ce Geoffroy, que mentionnent pour les années 1353-1355 les archives du Parlement de Paris[4], était seigneur de Pugny[5]. Sa mère, elle aussi de bonne famille poitevine, s’appelait Pernette ou Pétronille Brun ou le Brun. On peut bien sûr rêver sur le prénom prédestiné de Perceval, bien plus rare qu’on ne le croit même dans la noblesse de la fin du Moyen Age[6]. Perceval était le principal héritier de Geoffroy[7]. Il avait un frère nommé Hugues qui épousa en premières noces Marie, fille de Simon, seigneur de Lezay[8], et en secondes noces Isabeau Chabot, laquelle se remaria après la mort de Hugues, avec Renault Chenin, dont elle était veuve en 1416. Il avait aussi une sœur, Héliette, qui épousa Guillaume d’Appelvoisin : ce fut cette sœur qui hérita à sa mort (car il n’avait pas ou plus de descendance directe) de ses seigneuries de Pugny, du Breuil-Bernard[9] et de Pierrefitte[10], les faisant ainsi passer dans l’une des branches de la notable famille des Appelvoisin. A une date inconnue, Perceval épousa Jeanne de la Grésille, issue d’un noble lignage tourangeau.

On ignore dans quels contextes, circonstances et conditions, Perceval, sans doute avant la mort de son père, animé et imprégné par l’esprit de croisade, chercha fortune en Orient, bien qu’évidemment l’origine poitevine des Lusignan ait pu lui servir d’introduction. La sagesse que Guillaume de Machaut lui attribue dès 1365, les responsabilités qui lui furent confiées par Pierre 1er en 1367-1368 suggèrent qu’il n’était pas alors tout jeune : peut-être faut-il le faire naître à la fin des années 30 du XIVème siècle.

Le meurtre de Pierre de Lusignan le laissa désemparé. Le voyage de Prusse ne fut qu’un bref intermède. La guerre s’étant rallumée entre France et Angleterre, Perceval vint se mettre tout naturellement au service d’Edouard, prince d’Aquitaine et de Galles. Si l’on en croit Froissart, à l’automne 1369, Jean de Hastings, comte de Pembroke, fit une chevauchée en Anjou, jusqu’aux Ponts-de-Cé, dont il s’empara pour les fortifier. Il était accompagné de plusieurs nobles poitevins dont le sire de Parthenay, messire Guichard d’Angles et « messire Perchevaus de Coulongne »[11]. Ce dernier fit aussi partie de l’expédition du Prince noir en 1370 marquée par l’assaut de la ville de Limoges[12]. On le retrouve aux côtés du duc Jean de Lancastre au siège de Montpont (en Périgord) et, en 1371, à la prise de Moncontour-du- Poitou, cette fois sous Thomas de Percy[13].

En juillet 1372, Bertrand du Guesclin ayant assiégé Sainte-Sévère, Thomas de Percy et le captal de Buch rassemblèrent des forces pour secourir la place, d’ailleurs vainement. Perceval figurait au sein de ce contingent[14]. La même année, un certain nombre de seigneurs français, dont le sire de la Jaille, messire Guy Oudart et messire Pierre de la Haye, livrèrent un combat dans un lieu-dit appelé la Roche entre la Motte de Bourbon et Montreuil-Bellay, contre des poitevins pro-anglais dont les chefs étaient Tristan Rouault, Perceval de Cologne et Gadifer de la Salle : ces derniers furent battus[15].

Gravure d’Edouard, prince d’Aquitaine et de Galles, dit le « prince noir » (1330-1376). Fils ainé du roi d’Angleterre Edouard III, il fut vainqueur en 1356 à Poitiers du roi de France Jean II. En 1360, par le traité de Brétigny, il annexa le Poitou et devint de ce fait le suzerain de Perceval de Coloigne. C’est dans ce cadre qu’il combattit ensuite avec les anglais jusqu’à la fin de 1372. Photo www.wikipedia.org

Les barons du Poitou se replièrent alors sur la place forte de Thouars. Suivant le conseil de Perceval, les assiégés conclurent, après quinze jours de négociations, la trêve dite de Surgères, en date du samedi 18 septembre 1372, avec Jean, duc de Berry et d’Auvergne, comte de Poitou et de Mâconnais, d’Angoulême et de Saintonge, lieutenant du roi de France. Ils s’engageaient à rendre la place avant le 30 novembre s’ils n’étaient pas secourus par des forces anglaises suffisantes. Ainsi advint-il. « Au jours emprins et accordé vindrent a toute puissance devant Touars de par le roy de France les ducs de Berry et de Bourgoigne ses frères qui la journée se tindrent sur les champs en bataille ordonnée et a bannieres déployées jusques au vespres ». Enfin arriva Pernelle, vicomtesse de Thouars, accompagnée de nobles barons et dames, qui mit sa seigneurie en l’obéissance du roi. « Et au giste vint avec eulx a Lodun auquel lieu elle fist hommage lige de sa viconté avec serment de loyauté au duc de Berri duquel est tenue la dicte viconté a cause de sa conté de Poitou »[16]. C’est à cette occasion que Froissart place le discours de messire Perceval, qui, dit-il, « fu uns sages et imaginatis chevalier et bien enlangagiés » : nous avons pleinement tenu notre loyauté envers le roi d’Angleterre, comment se tirer de ce mauvais pas en préservant notre honneur ? Si le roi d’Angleterre nous secourt avec assez de force, « nous demorrons anglés a tous jours més», sinon « nous serons bon François de ce jour en avant ». On ne pouvait mieux parler.

Somme toute, messire Perceval sut bien négocier son changement d’obédience. Il alla aussitôt assiéger avec Olivier de Clisson La Roche-sur-Yon que les Anglais occupaient encore[17]. On le trouve désormais, jusqu’à fort avant dans le siècle, dans le sillage de son seigneur supérieur Jean de Berry, en l’occurrence comte de Poitou. Toutefois, il ne fut pas le premier sénéchal du Poitou « libéré ». Avant lui, il y eut Jean La Personne, vicomte d’Aunay, en 1372-1373, puis le breton Alain de Beaumont, compagnon d’armes de Du Guesclin[18]. A son tour, il occupa l’office de sénéchal un an, de juin 1374 à juin 1375[19]. La comptabilité ducale nous apprend que le 6 mai 1374, Jean de Berry, alors à Clermont en Auvergne, fit porter des messages à la vicomtesse de Thouars ainsi qu’à Perceval[20] . En novembre 1374, le duc retint son « amé et féal chevalier et seneschal de Poictou messire Perceval de Culoigne à tenir certain nombre de genz d’armes en sa compaignie pour aller et chevaucher par tout nostre dit païs de Poitou pour la garde et deffense d’icellui ». Les effectifs, au témoignage du registre de Barthélemy de Noces, furent variables : 4 chevaliers et 40 écuyers le 7 novembre, 7 chevaliers et 52 écuyers le 7 décembre, le même effectif en janvier mais seulement 4 chevaliers et 15 écuyers en février 1375[21]. En mai 1375, le duc se rendit à Thouars, y demeura huit jours, en compagnie de Perceval[22].

Le compte de Jacques Renart, trésorier des guerres de Charles V, atteste son service cette même année 1375[23].

Même après la pacification du Poitou, Perceval continua à suivre les guerres du roi, cette fois dans un autre théâtre d’opérations. C’est ainsi que le 11 septembre 1383, il donne quittance au trésorier des guerres de Charles VI Guillaume d’Enfernet d’une somme de 33 livres 10 sous tournois en prêt sur les gages de lui, 3 autres chevaliers bacheliers et 14 écuyers desservis et à desservir « en ces presentes guerres du roy pour le servir au pays de Flandres contre ses ennemis en la chevauchée qu’il fait de présent sur les champs audit pays », en la compagnie et sous le gouvernement du duc de Berry [24].En 1386, Perceval et d’autres fidèles du duc ne purent éviter de lui servent de caution pour un emprunt contracté à l’occasion du magnifique mariage dans la cathédrale de Bourges de l’une de ses filles avec le comte de Blois[25]. Nous avons conservé la liste des « noms des gens d’armes que nous Jehan, fils de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poitou, avons tenuz en la compaignie et service de monseigneur le roy es parties de Flandres pour le passage de la mer » en octobre et novembre 1386 « qui sont touz de nostre hostel ». Cette liste commence par les noms de deux chevaliers bannerets, le comte de Sancerre et messire Roger d’Espagne. Puis viennent 32 chevaliers bacheliers (dont Perceval, huitième nommé, ce qui semble un rang honorable), enfin 37 écuyers[26].

Jean de Berry (1340-1416), fils du roi de France Jean II et frère du roi Charles V. Il mena la reconquête du Poitou contre les anglais et leurs alliés. Le 1er décembre 1372 à Loudun, il recueillit la soumission des seigneurs poitevins dont Perceval de Coloigne qui devint ensuite un de ses fidèles serviteurs. Photo ww.wikipedia.org

Un autre indice de l’intimité de Jean de Berry avec Perceval se trouve dans Mélusine ou la noble histoire de Lusignan que Jean d’Arras acheva en 1393 pour l’offrir au duc. A la fin de son roman, Jean d’Arras raconte que chaque fois que la forteresse de Lusignan doit changer de seigneur, « la serpente s’appert trois jours devant ». Il donne l’exemple de John Cresswell qui tenait Lusignan pour les Anglais. Il était couché avec sa concubine, dont le nom même est fourni — indice du sérieux du témoignage. Alors que toutes les portes étaient fermées, Cresswell vit devant son lit «une serpente grande et grosse merveilleusement et estoit la queue [armoriée] longue de VII a VIII piez burlée d’azur et d’argent ». Il y avait un grand feu dans la cheminée. Jamais il n’eut aussi peur. Au bout d’un long moment, la serpente se changea en femme, puis de nouveau en serpente, pour disparaître ensuite mystérieusement. Tel est le récit que Cresswell fit au duc de Berry en affirmant sa véracité. Autre capitaine bien connu : Yvain de Galles jura l’avoir vue à deux reprises sur les murs de Lusignan avant que la forteresse ne soit rendue. A son tour, messire Perceval de Couloigne, « qui fu chambellan du bon roy de Chippre », jura plusieurs fois à monseigneur de Berry, que, quand il était à Chypre, la serpente apparut à Pierre 1er, lequel lui dit : « Perceval (…), je me doubte trop fort  car j’ai vu la serpente, quelque fort de grave va m’arriver, à moi ou à mon fils Perrin ». Et de fait trois jours après il périt assassiné[27].

Philippe CONTAMINE

[1]T. IV, 1369-1376, correspondant au t. XIX (1888) des « Archives historiques du Poitou », p. 200, n. 1. Il ne serait sans doute pas impossible de préciser son rôle à Chypre en tant que chambellan du roi. Voir aussi H. BEAUCHET-FILLEAU, Ch. de Chergé et alii, « Dictionnaire historique et généalogique du Poitou », t. Il, Poitiers, 1895, p. 577.

[2] Deux-Sèvres, arrondissement de Bressuire, canton de Saint-Varent.

[3] BNF, Clair. 33, p. 2481 : quittance de gages datée de Niort le 26 mai 1351 (guerres de Poitou, Limousin, Saintonge, etc.). Ibid., p. 2481 : quittance de gages du 13 février 1356 (services de guerre entre la Loire et la Dordogne). G. DEMAY, « Inventaire des sceaux de la collection Clairambault à la Bibliothèque nationale », t. 1, Paris, 1885, p. 303.

[4] AN, X2a 6, f. 17vo, 50, 89, 112, 202vo et X1a 15, f. 253vo.

[5] Deux-Sèvres, arr. de Parthenay, cant. De Moncoutant. BNF, lat. 5450, f.70vo : « Sachent touz que nous Geffroy de Couloigne, chevalier, sire de Puygné, confesse avoir donné en donoyson perpétuelle a frère Jehan Chuyllau, priour de Puygné, ordre S. Benoist, moisne de Noailhé, le droit des dismes en la paroisse de Puigné le dimanche après la feste de Touz saintz » 1357.

[6] Ph. CONTAMINE, « La noblesse au royaume de France de Philippe le Bel à Louis XII », Paris, 1997,p. 229.

[7] AN, Xl a 35, f. 11vo-12ro (1386). Allusion à un procès entre Perceval et Marguerite Trousselle. Dans ce document, Perceval est dit chambellan du roi Charles VI. Il l’était encore en 1391 et 1396.

[8] Deux-Sèvres, arr. de Niort, ch.-l.de canton.

[9] Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, canton de Moncoutant.

[10] Deux-Sèvres, arrondissement de Bressuire, canton de Saint-Varent.

[11] Jean FROISSART, Chroniques, éd. S.LUCE, t. VII Paris,1878, p. 189.

[12] Id. ibid, p. 243.

[13] Id. Ibid, t. VIII, Paris, 1888, p. 19.

[14] Id, ibid, p. 57.

[15] D.F. SECOUSSE, Recueil de pièces sur Charles IL roi de Navarre, t. I, Paris, 1755, p. 650. MH. KEEN, Nobles, Knights and Men-at-Arms in the Middle Ages, Londres et Rio Grande, 1996, p. 122. Cet ouvrage contient une belle évocation de Gadifer de la Salle, le conquérant des Canaries.

[16] Jean FROISSART, t. VIII, cit., p. LII et 91-92. De fait, Perceval fut partie prenante au traité de Surgères.

[17] Jean FROISSART, Œuvres, éd. J.B.M.C. KERVYN de LETTENHOVE, Chroniques, t. VIII, Bruxelles, 1869, p. 261.

[18] G. DUPONT-FERRIER, Gallia regia, t. IV, Paris, 1954, n° 17593 et 17593bis.2% F, LEHOUX, Jean de France, duc de Berri, sa vie, son action politique (1340-1416), t. I,

[19] Id., ibid., n° 17593ter.

[20] F, LEHOUX, Jean de France, duc de Berri, sa vie, son action politique (1340-1416), t. I, De la naissance de Jean de France à la mort de Charles V, Paris, 1966, p. 332, n. 2.

[21] Id., ibid., p. 346, n. 2.

[22] Id., ibid., p. 362, n. 4.

[23] BNF, n.a.fr.7414, f. 210-237.

[24] BNF, Clair 35, n° 150. Son sceau, assez prestigieux, est le suivant : un écu burelé à la fleur de lys brochant, penché, timbré d’un heaume, cimé d’un buste de damoiselle, supporté par deux cygnes. G. DEMAY, op. cit., t. I, n° 2863.

[25] F. LEHOUX, op. cit. t. II, De l’avènement de Charles VI à la mort de Philippe de Bourgogne, Paris, 1966, p. 179, n. 4. 3 JEAN d’ARRAS, Mélusine ou la noble histoire de Lusignan, roman du XIV° siècle, éd. Jean-Jacques VINCENSINI Paris, 2003, p. 810-814. Sur la signification de ces épisodes, voir les intéressantes remarques de Françoise Autrand dans Jean de Berry, l’art et le pouvoir,

[26] BNF, fr. 25765, n° 69.

[27] JEAN d’ARRAS, Mélusine ou la noble histoire de Lusignan, roman du XIV° siècle, éd. Jean-Jacques VINCENSINI, Paris, 2003, p. 810-814. Sur la signification de ces épisodes, voir les intéressantes remarques de Françoise Autrand dans Jean de Berry, l’art et le pouvoir, Paris, 2000.