La famille Fradin : le père et le fils dans la tourmente révolutionnaire

Nos recherches nous amènent  petit à petit à mieux connaitre la vie  d’habitants de Pugny pendant la période révolutionnaire et les guerres de Vendée.

Le destin de Louis et René Fradin, père et fils, habitants alors du bourg de Pugny, illustre cette page dramatique de l’histoire locale.

Louis Fradin (1736-1794)

Louis Fradin est né au Breuil Bernard le 9 mai 1736. Il est le 4ème enfant des 5 qu’ont eu ensemble Jacques Fradin et Marie Branchu, couple de protestants nouveaux convertis. Tous ses frères et sœurs sont nés à Pugny. Seuls trois garçons de la fratrie survécurent, Louis et ses frères Jacques et Pierre.

Enfants de huguenots, les circonstances de l’abjuration et de la réhabilitation du mariage de leurs parents en 1730 font que l’éducation religieuse de la fratrie a probablement été particulièrement surveillée par les curés du Breuil Bernard et de Pugny.

En ces temps de forte répression religieuse, la moindre incartade pouvait entraîner l’enlèvement  des enfants aux parents « indignes ». On ne trouve aucun acte pouvant faire douter du bon comportement catholique des enfants Fradin.

Un mariage avec la fille d’une famille de commerçants

Le 9 février 1768, Louis Fradin se marie avec Catherine Paynot, âgée de 30 ans, fille d’Antoine Paynot, dit de la Bardonnière, commerçant décédé de Clessé.

Acte de mariage de Louis Fradin et Catherine Paynot AD79 Pugny BMS 1763-1792 Vue 12/136

D’une famille aisée, Catherine descend de plusieurs familles de notables des environs :

  • les Thourayne, marchands de La Chapelle Saint Laurent
  • les Gentils, aussi marchands à Clessé
  • une autre famille Fradin,  sans lien proche avec celle de son mari,  qui a produit plusieurs notaires, à Moncoutant et Largeasse
  • la famille Puichaud qui descend d’une grande famille d’hommes de lois de la baronnie de la Forêt sur Sèvre.

Le niveau social des mariés se remarque par les nombreuses signatures de l’acte de mariage, qui tranche avec celui des paysans, pour la plupart illettrés.

La sœur de Catherine Paynot, Marie Anne, se mariera également en 1768 à Chanteloup avec le marchand Jacques Maupillier. En 1777, elle deviendra la mère d’un autre Jacques Maupillier, futur soldat vendéen qui inspirera Philippe de Villiers pour la cinéscénie du Puy du Fou.

Dessin de Louise de la Rochejaquelein (1826). Illustration extraite de l'Album Vendéen Amblard de Guerry et Michel Chatry 1992
Jacques Maupillier 1777-1857 Le soldat vendéen devenu héros du Puy-du-Fou, neveu de Louis Fradin et Catherine Paynot. Dessin de Louise de la Rochejaquelein (1826). Illustration extraite de l’Album Vendéen ^par Amblard de Guerry et Michel Chatry 1992.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une nombreuses descendance 

Louis et Catherine eurent ensemble 8 enfants dont 6 vécurent, leur assurant une très nombreuse descendance dont une partie habite toujours Pugny et ses environs.

Personne Date de naissance Conjoints Date de l’union Date de décès
M Louis Fradin 09/05/1736 F Catherine Paynot  dite Bardonnière 09/02/1768 10/04/1794
Enfants
1. F Louise Catherine Fradin vers 1768 M Pierre Michel Rouault 02/07/1788 22/10/1853
2. F Marie Anne Fradin 15/08/1770 M Louis Texier 09/08/1793 18/04/1834
3. F Marie Magdelaine Fradin 24/07/1772
4. M René Fradin 02/05/1774 F Catherine Mesnard 16/07/1795 29/09/1823
5. F Louise Véronique Fradin 06/03/1776 M Antoine Archambault 21/06/1796 25/10/1847
6. M Joseph Ambroise Fradin 03/03/1778 F Marie Agathe Fradin de Linières 22/04/1800 07/10/1853
7. F Louise Angélique Fradin 01/09/1780
8. F Catherine Louise Fradin 10/09/1782 M Louis Palluau 02/11/1801

 

Un notable qui participe activement aux institutions locales 

Louis Fradin va devenir au fil des années un notable de la paroisse.

Ainsi, on trouve en 1782 sa signature au côté du marquis de Mauroy sur l’acte notarié qui marque la décision de l’assemblée paroissiale de construire un nouveau presbytère.

Extrait de l’acte notarié de 1782 concernant la construction d’un nouveau presbytère à Pugny . Louis Fradin fait partie des 5 notables qui signent avec le marquis de Mauroy.

La révolution de 1789 transforme les paroisses en communes dirigées par un conseil général, vite appelé conseil municipal. Élu pour deux ans et renouvelable annuellement par moitié, les électeurs sont les citoyens payant l’équivalent de dix journées de travail en impôt direct. Pour Pugny, le nombre de conseillers était de 6, parmi lesquels étaient choisis 3 officiers municipaux. Le maire était désigné par les électeurs pour 2 ans renouvelables.

Le 3 juin 1790, fut effectuée une perquisition par la garde nationale de la Chapelle Saint Laurent au château de Pugny suite à des soupçons d’accaparement spéculatif de blé et de détention d’armes par le marquis de Mauroy. Dans le procès-verbal, on voit que Louis Fradin était alors un des 3 officiers municipaux de la commune.

La guerre 

On ignore si Louis Fradin fut un observateur passif ou un acteur engagé de la révolte de 1792 et du début des guerres de Vendée. Toujours est-il que sa fille Marie s’est mariée à Pugny  le 9 août 1793 à Louis Texier laboureur âgé d’environ 30 ans.

Nous sommes alors en pleine guerre, à une époque où le bocage bressuirais est encore pour quelques semaines à l’abri des destructions des armées républicaines. Ce mariage célébré par le curé réfractaire Guillon, ne laisse aucun doute sur la sensibilité favorable au soulèvement de Louis Fradin.

Une des particularités des registres paroissiaux de Pugny pendant les guerres de Vendée est de n’avoir aucune coupure durable malgré les événements dramatiques. Seuls quelques feuillets datent de 1794, alors que le curé  Guillon se terrait dans la clandestinité. On y trouve le 10 avril 1794 l’acte de sépulture de Louis Fradin, décédé la veille, enterré en présence de son gendre Louis Texier, de son voisin Pierre Grellier et de son cousin Jacques Sionneau.

Les circonstances de la mort de Louis Fradin

Au printemps 1794, le bocage était  soumis aux exactions républicaines. La population se réfugiait dans les bois à la moindre alerte. Elle était sans nouvelle de ses parents, frères, fils  ou voisins arrêtés en novembre et décembre 1793. Elle ignorait s’ils avaient été fusillés, guillotinés ou étaient en train de croupir  dans des  cachots surpeuplés.

 

Acte de sépulture de Louis Fradin. Cet acte clandestin de l’abbé Guillon mentionne que la sépulture a eu lieu en son absence. 
AD 79 BMS Pugny 1792-1804 Vue 4/175

Qu’est-il arrivé à Louis Fradin? Le croisement de la demande d’aide à la reconstruction par son fils René Fradin en 1811, et la demande de pension de veuve de Catherine Paynot en 1816, nous indique qu’il a probablement été tué le 9 avril 1794 par la colonne républicaine qui a alors incendié sa maison et le bourg de Pugny.

Ces mêmes troupes bleues seront écrasées par les soldats paysans vendéens commandés par Marigny le 18 avril à Boismé. Dans le récit de ce combat paru en 1874, l’abbé Augereau, curé du Boupère mentionne que l’on acheva un cavalier républicain blessé  qui refusait de se rendre.

On trouva son porte-manteau remplit d’argent issu des pillages de cette colonne…

Septembre 1811. Descriptif d’indemnisation de René Fradin pour sa maison du bourg de Pugny. « … en totalité incendié en le courant du mois d’avril 1794… »
Pension de veuve de 50 francs accordée à Catherine Paynot Bardonnière le 27 juin 1816. AD 85 SHD XU 39-24 Vue 5/6. Pensions accordées à 319 veuves d’anciens combattants. Cette pension est demandée à Chanteloup où demeure alors Catherine Fradin-Paynot probablement chez une de ses filles. A noter que Louis Fradin est prénommé René comme son fils, et que la veuve est dénommée Bardonnière , second nom par lequel était connu son père.

 

René Fradin (1774-1823)

Né dans le bourg de Pugny le 2 mai 1774, René Fradin  est le 4ème enfant et 1er fils du couple Louis Fradin & Catherine Paynot. Le parrain est Pierre René Molliex, cuisinier du château de Pugny.

2 mai 1774 Acte de baptême de René Fradin

 

Un jeune combattant vendéen ?  

On sait peu de choses sur René Fradin avant son mariage en 1795. A-t-il été combattant des guerres de Vendée avant cette date? Un faisceau d’indice le laisse supposer :

  • Son beau frère Pierre Rouault, menuisier dans le bourg de la Chapelle Saint-Laurent, était un des membres les plus écouté du comité royaliste de la paroisse (Maurice Poignat, Histoire de La Chapelle Saint Laurent, page 61).
  • Son autre beau frère Antoine Archambault,  également menuisier à la Chapelle Saint Laurent,  fut également membre du comité royaliste et soldat vendéen (Maurice Poignat, même source);
  • Son cousin germain Jacques Maupillier, fut un combattant si fameux à Boismé que la jeune Louise de la Rochejaquelein le dessina en 1826 debout le fusil à la main car  » il ne l’a jamais quitté ». C’est lui qui a inspiré Philippe de Villiers pour la cinéscénie du Puy du Fou.
  • Son père Louis Fradin a été tué en avril 1794 par une colonne républicaine qui a incendié le bourg de Pugny.

Un mariage dès la paix retrouvée

Le 16 juin 1795, René Fradin  s’est marié à La Chapelle Saint Laurent avec Catherine Mesnard  (1771-1796). Il y est mentionné comme cabaretier.Ce mariage se fait à l’église devant l’abbé Gautier alors que la paix et la liberté religieuse règnent sur le bocage depuis seulement quelques semaines, les dernières destructions identifiées sur Pugny datant d’octobre 1794. La paix de Saint Florent le Vieil a été conclue par Stofflet avec les autorités républicaines le 2 mai. Ce choix indique bien la position de la famille Fradin  du côté des insurgés vendéens.

16/06/1795 Acte de mariage de René Fradin et Catherine Mesnard à La Chapelle Saint Laurent

Orpheline de père et mère, Catherine est descendante de familles  de marchands et de petits notables du bocage. Elle est de ce fait la petite cousine des familles Puichaud de Moncoutant et Cottenceau de Largeasse, qui elles sont extrêmement républicaines. La guerre civile a  déchiré bien des familles…

Le 28 août 1796, à Pugny naît de cette union une fille, Marie Madeleine. Malheureusement, la mère ne se remet pas et meurt le 14 septembre.

Le 4 septembre 1797 a lieu à Paris le coup d’état du 18 fructidor an V qui relance la persécution religieuse et les troubles en Vendée. A l’été 1798, les autorités républicaines de la Chapelle Saint Laurent s’efforcent de faire rentrer  les impôts coûte que coûte malgré la misère, l’hostilité générale  et les ruines dans lesquelles vit la population.

Meneur d’une émeute fiscale 

C’est dans ce contexte que le 30 fructidor an VI (16 septembre 1798), un bande de 90 contribuables furieux  envahit la maison du percepteur Roy …

« avec un air menaçant que là animés par quelques individus à leur tête, ils se sont déchaînés en injures contre le gouvernement républicain, contre l’administration municipale et le commissaire près d’elle, ainsi que contre les républicains amis des loix ; qu’il ont publiquement déclaré qu’ils ne voulaient payer aucune imposition et que ceux qui payeraient les premiers, auraient à faire à eux… »

« … Qu’à la tête de cet attroupement on a surtout signalé les nommés François Niort fermier au Boislemay et François Frouin bordier à la Loge, commune de la Chapelle St Laurent  ; René Fradin garde-champêtre de la commune de Pugny et Caduc de la Martinière commune de Chanteloup, qui tous les quatre paraissaient conduire les autres et les révolter conte la rentrée des impositions par les discours les plus incendiaires qu’ils tenaient … »

« Qu’après être sortis de la chambre du percepteur ils ont encore formé divers attroupements dans le bourg de la Chapelle St Laurent pour arrêter ceux qu’ils croyaient disposés à venir payer ; qu’ils se sont ensuite réunis à l’auberge des trois marchands chez le nommé Giret boulanger, refuge ordinaire de ceux, qui n’aiment ni la République ni ses loix (note en marge  : «  et qui lui-même faisait partie de l’attroupement  ») ; que là ils se sont encore déchaînés contre le gouvernement actuel, qu’ils ont taxé d’injustice ;
Qu’ils ont ensuite fait menacer le citoyen Beaudet commissaire du directoire qu’il n’existerait pas longtemps, qu’ils lui en voulaient particulièrement ;
Que les cinq principaux de cet attroupement étaient autrefois les membres des comités des rebelles vendéens … » (Extraits AD79, L 228.) 

C’est ainsi que nous apprenons que René Fradin était en 1798 garde-champêtre de Pugny, qu’il était un des meneurs de cette émeute fiscale et qu’il était identifié par les autorités locales comme un ancien rebelle vendéen.

Un mariage et neuf enfants

Le 23 janvier 1799, René Fradin s’est remarié à Neuvy-Bouin avec Rosalie Grellier, elle aussi veuve d’une première union avec également une fille née en 1794.. Le couple aura 9 enfants tous nés à Pugny en 1799, 1801, 1802,1806, 1807, 1808.1810, 1811 et 1813. Seule Marie Modeste, née en 1801,  décède en bas âge à 15 mois.

Tableau de la famille de René Fradin

Le 12 brumaire an VIII ( 3 novembre 1799) on trouve René Fradin qui tient le premier registre d’état-civil de Pugny post-guerre de Vendée. Il y est identifié comme marchand de vin.

Il devient maire de Pugny de 1803 à 1805, puis sera mentionné en 1811 comme percepteur, ce qui est un comble pour celui qui a mené un soulèvement anti-fiscal !

Encore veuf, dernier mariage

En novembre 1813, alors que le dernier de ses fils a seulement 5 mois, Rosalie Grellier meurt à Pugny et laisse René Fradin veuf avec à sa charge 10 enfants dont l’ainée, fille du premier mariage de Rosalie,  a seulement 19 ans.

En janvier 1815, Marie Madeleine, fille âgée de 19 ans issue de l’union de René Fradin et Catherine Mesnard, se marie à Pugny avec Jacques Beaujault, âgé de 21 ans, qui habite avec ses parents au château de Pugny depuis environ 1810.

René Fradin se remariera le 19 août 1816 à Moncoutant à Marie Anne Bertonneau, âgée de 43 ans, elle aussi veuve.  Ils n’auront pas d’enfants ensemble.

Après cette date, nous n’avons plus de documents significatifs à produire sur la vie de René Fradin, jusqu’à son décès à Pugny le 29 septembre 1823, à l’âge de 49 ans. Sont témoins à l’acte de décès son fils Jean-Baptiste, son frère Joseph, son beau-frère Antoine Archambault et sa sœur Véronique.

 

Plusieurs descendants des Fradin habitent encore Pugny. Leur descendance est de plusieurs centaines de personnes dont beaucoup habitent encore les Deux-Sèvres.

J-P Poignant

Merci à tous ceux qui m’ont aidé et fourni de précieuses informations pour cette redécouverte de la famille Fradin :

  • Régine Munier qui m’a permis d’identifier la famille de Louis Fradin
  • Le Pasteur Denis Vatinel, qui m’a fait découvrir l’histoire protestante locale et les origines de la famille Fradin
  • Raymond Deborde qui m’a transmis le contrat de mariage, l’acte de construction du presbytère de Pugny en 1782 et m’a permis de comprendre les circonstances de la mort de Louis Fradin.
  • Richard Lueil, qui a redécouvert aux archives départementales l’évocation de l’émeute de 1798. Un article complet évoque ces événements sur son blog « Chemins secrets ». http://chemins-secrets.eklablog.com/insurrection-contre-les-impots-en-1798-a148213630

Sans l’esprit de partage et de coopération de notre groupe de passionnés, cet article aurait été impossible.