1ère partie : l’abjuration de 1730

Abjuration de protestants  à l’église Sainte Croix de Parthenay en 1730.

Sur les registres paroissiaux de l’église Sainte Croix de Parthenay, pour l’année 1730, on trouve deux actes qui  illustrent la répression qu’a alors subi la foi protestante dans le moncoutantais.

Le premier acte est l’abjuration de 4 protestants de Pugny, Largeasse et le Breuil Bernard :

« Aujourd’hui deuxième août mil sept cent trente, Jacques Forestier, Jean Sionneau, Jacques Fradin et Marie Branchu ont fait abjuration publique de l’hérésie et notamment de celle de Luther et Calvin dans l’église collégiale de Sainte Croix en présence des soussignés, la dite Marie Branchu a déclaré ne savoir signer de ce acquittée.

Signatures :

Forestier, Sionneau, Fradin

Taffoireau, curé de Largeasse, Maynard de la Fortinière, doyen de Sainte Croix, Turquant avocat ducal, Jolivard chanoine curé de Sainte Croix, Picault chanoine, de Chouppes chanoine. »

AD 79 BMS Parthenay Sainte Croix 1617-1736 Vue 138/144

Qui sont ces nouveaux convertis ? 

Ils ont en commun des liens familiaux,  leur origine géographique et un certain statut social.

Jacques Fradin et Marie Branchu sont tout d’abord mari et femme.

Marie Branchu (1698-?), est la fille de René Branchu,  sieur de la Chaize (commune de Terves) et d’Elisabeth Arnaut, mariés en 1695 au Breuil Bernard. Cette union (re-mariage pour René branchu) s’est produite dans des circonstances particulières puisque « le nommé Branchu qui a été marié par ordre de M. l’Intendant (représentant de l’autorité royale dans la province) sur la promesse qu’il lui fit de vivre en bon catholique n’est pas entré dans l’église depuis son mariage » selon le compte rendu de la visite épiscopale du Breuil-Bernard en 1698. René Branchu était donc pour les autorités religieuses un protestant « nouveau converti » coriace et réfractaire.

Par sa tante Louise Branchu, qui a abjuré sa foi protestante dès 1678 à Terves, Marie est la nièce de Thomas Denis, « Fermier général de la terre  de Pugny », et la cousine d’André Thomas Denis, qui a repris les activités de son père.

On trouve également parmi les abjurations qui ont eu lieu à Moncoutant lors des grandes dragonnades de 1685 celle d’un René Branchu, de la paroisse du Breuil-Pugny, âgé de 63 ans.  Il est possible que ce soit le grand père de Marie. En tout cas les Branchu sont bien identifiés comme une importante famille protestante du Breuil Bernard et de Pugny.

Jacques Fradin (vers 1679-1759) est un marchand bien établi d’environ 50 ans. Ses ascendants sont mal connus et on ne sait à quelle famille Fradin le rattacher parmi les nombreuses de la région. Lors de son abjuration il réside à Pugny.

Jacques Forestier (vers 1676-1744) est le beau frère de Marie Branchu, époux de sa soeur Jeanne. De ce couple qui vit à Largeassse, naissent au moins 2 enfants entre 1731 et 1738, date du décès de Jeanne Branchu à 39 ans.

La famille Forestier est originaire de Talmont Saint Hilaire en Vendée. Le pére de Jacques, décédé à Largeasse en 1692 était sieur de la Gestrie. Lors de la visite épiscopale à Largeasse en  1698, il est dit au sujet de cette famille protestante récemment convertie « lesquels ne font et n’ont pas fait leur devoir jusqu’à présent ». Comme pour les Branchu, les Forestier sont des réfractaires.

Jean Sionneau (1686-1734) est le beau-frère de Jacques Fradin, époux de sa sœur Louise Jeanne, enceinte de 6 mois lors de l’abjuration.  Maître Sionneau est un notable important puisqu’il est fermier de la seigneurie de Châteauneuf de Largeasse. Son mariage avec Louise Jeanne Fradin semble récent, puisque le 27 mars 1729 on le  retrouve veuf de Marie Richard, décédée à Largeasse le 27 mars 1729,  « de la religion protestante laquelle est rentrée à la fin de sa vie dans le sein de l’Eglise catholique ». Jean Sionneau est décédé en 1734 à l’âge de 48 ans après avoir eu deux enfants avec Louise Jeanne.

Pourquoi cette abjuration à cette période et à Parthenay?

Louis XIV, a révoqué en 1685 l’édit de Nantes qui protégeait les protestants français depuis Henri IV. Il s’est alors déclenché dans tout le Poitou une vague de grande répression à l’égard des huguenots pour les obliger à se convertir. Les baptêmes, les mariages et les sépultures doivent avoir lieu dans l’église catholique. Ce n’est pas une question de foi mais de simple et pure obéissance aux ordres du roi. Les réfractaires risquent pour les hommes, la prison ou les galères, pour les femmes l’enfermement au couvent, et dans tous les cas de lourdes amendes, la saisie de leur biens, l’enlèvement de leurs enfants…

Au décès de Louis XIV en 1715, la répression s’est affaiblie.  Mais à partir de 1723, date de la majorité de Louis XV, le pouvoir royal et les autorités religieuses ont repris leur lutte impitoyable.

Louis XV en 1730. Tableau de Rigaud Photo Wikipédia

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est dans ce contexte difficile que les 4 convertis qui vivaient en couple sans être passés à l’église ont sans doute été arrêtés puis emprisonnés à Parthenay pour désobéissance. C’est pourquoi leur conversion a eu lieu paroisse Sainte Croix dans laquelle étaient situés la prison, le couvent des religieuses de la Propagande, le collège, l’hôpital etc…

Intérieur de l’église Sainte Croix de Parthenay où a eu lieu l’abjuration, Collection privée.

Qui sont les témoins de cette abjuration ?

Pierre Taffoireau (1673-1744), est curé de Largeasse de 1711 à son décès. Il est né à Parthenay dans une famille de juristes. Son père était procureur du duché de la Meilleraye. Son frère est procureur et notaire royal.

L’abbé Taffoireau est l’acteur majeur de cette quadruple abjuration puisque deux des nouveaux convertis viennent de sa paroisse. Il est probablement celui qui a cherché à ramener à l’église catholique ces notables protestants qui vivaient dans l’hérésie sur son territoire. Manifestement ses arguments n’ont pas été que religieux. C’est probablement sur dénonciation que la machine judiciaire royale s’est mise en route. De plus, poursuivre ces  familles de notables réfractaires depuis des dizaines d’années, permettait de servir d’exemples pour faire fléchir les huguenots moins favorisés.

Charles Maynard (1683-1750) est le doyen de l’église Sainte Croix de Parthenay. Cette paroisse est celle du château et donc du pouvoir politique en Gâtine. L’église est collégiale et accueille plusieurs prêtres, les chanoines. Charles Maynard est un noble, seigneur de la Fortinière de Clessé. Bachelier en théologie, maître d’école, administrateur de l’hôpital, il est de par ses fonctions une des principales autorités religieuses de la Gâtine.

Louis Picault ( ?-1759), Pierre François de Chouppes (?-?) sont des chanoines de l’église Sainte Croix. Pierre Jolivard (?-1746), en est aussi le curé. Tous ces prêtres sont de la même génération que l’abbé Taffoireau, qui les a probablement côtoyés dans sa jeunesse. Formés à la fin du règne de Louis XIV, ils sont les représentants d’une église catholique triomphante et intolérante. On ne sait pas s’ils étaient des acteurs impliqués dans la répression ou de simples témoins des événements.

Philippe Turquand (1693-1759), est avocat ducal au siège de Parthenay de 1722 à 1756 et un des administrateurs de l’hôpital. Il représente dans cette abjuration la dimension juridique et pénale. Etant probablement l’avocat des convertis, quel niveau de clémence a-t-il pu obtenir pour cette abjuration ?

Après des années de forte pression et sans doute une surveillance très attentive des prêtres locaux, les enfants des trois couples impliqués dans cette abjuration vécurent comme de bons catholiques. Aujourd’hui, plusieurs centaines d’habitants de Pugny et des environs descendent de ces convertis et ne savent pas ce qu’ont vécu leurs ancêtres. Nous continuerons l’étude de cette famille dans quatre autres articles qui suivront bientôt.

J-P Poignant

Merci au Pasteur Denis Vatinel et à Raymond Deborde dont les  connaissances et l’immense travail généalogique m’ont  permis de rédiger cet article.

Le Pasteur Vatinel est le conservateur du musée protestant de l’ouest à Monsireigne (85) http://www.bois-tiffrais.org/

Raymond Deborde anime avec sa femme Sylvie le blog « L’arbre de nos ancêtres » et est un des responsables du cercle généalogique des Deux-Sèvres http://genea79.fr/ 

Merci à Albéric Verdon dont la richesse du site internet m’a permis d’identifier tous les religieux et l’avocat ducal de cette abjuration. http://gatine-parthenay.pagesperso-orange.fr/

Merci à Bernadette, qui connait si bien l’histoire de Largeasse pour les renseignements fournis sur l’abbé Taffoireau.