De Pugny à la Bastille : le destin tragique d’une famille protestante sous Louis XIV

Le 10 août 1661 a été célébré à Pugny  un  mariage de la communauté protestante qui est relaté dans le livre de l’Abbé Mulon publié en 1980 sur l’histoire communale.

Ce document nous permet tout d’abord d’apprendre que Pugny avait alors un temple dont le pasteur était Jehan Salbert. Était-il dans le bourg, dans un lieu-dit ou au château ? Nul ne le sait.

Mais ce sont surtout  les mariés auxquels nous allons nous intéresser. En effet, leur vie illustre particulièrement les persécutions qu’ont vécues les huguenots du bocage poitevin pendant 80 ans. Comme ils appartiennent à des familles lettrées de petite noblesse et de notables, de nombreux actes familiaux permettent de connaitre leur histoire. En ce qui concerne la répression religieuse, c’est celle de toutes les classes sociales de la communauté protestante.

Le marié est Samuel Majou (1628-1701) sieur de Lousigny, sur la paroisse de Saint Germain de Prinçay (Vendée, entre Chantonnay et Mouchamps). Il est le troisième des 7 enfants de  Daniel Majou (décédé en 1651) et Marguerite Branchu (décédée avant 1660). Si la famille Majou a ses racines aux environs de Mouchamps, Marguerite Branchu a les siennes dans le moncoutantais. Elle a apporté en dot pour son mariage, célébré vers 1620, les domaines de la Morinère de Moncoutant et de la Maupetière du Breuil Bernard (aujourd’hui rattaché à Pugny dont la paroisse n’existe pas encore à l’époque).  Il semble que ces métairies, lors du mariage de 1661, appartenaient par héritage au frère aîné du marié, François Majou (1623-1686), notaire à Mareuil sur Lay (Vendée).

Blason de Samuel Majou. Extrait de l’armorial général de France dressé en vertu de l’édit de 1696 par Charles d’Hozier (Gallica)

La mariée est Philippe (prénom alors mixte) Marguerite Desmé (1643-1709), qui semble être née à Pugny. Elle est le fille de Jacques Desmé et de Philippe Branchu. Son frère ou un oncle Desmé est alors juge-sénéchal du Breuil Bernard. Celui qui est probablement un oncle maternel, Michel Branchu,  est alors fermier général de la seigneurie de Pugny. C’est lui qui gère le domaine en l’absence du seigneur, Charles de Montausier, qui réside à la cour de Louis XIV et ne vient que rarement sur ses terres poitevines. C’est ce qui explique que le mariage ait été célébré à Pugny, certainement au château.

Par la famille Branchu, les mariés sont donc parents et  probablement cousins  germains.

La famille Majou appartient à l’église réformée de Mouchamps. La famille Desmé appartient à celle de Vaudoré de Saint Jouin de Milly. Un Branchu y fait partie des anciens du consistoire.

Un testament rédigé en 1696.

Nous allons retrouver les mariés 35 ans plus tard, le 12 janvier 1696, jour de la rédaction de leur testament. Le couple a alors quelques soucis de santé. Ce document familial exceptionnel a été sauvé de l’oubli et publié à Angers en 1854 par Paul Marchegay, descendant du couple.

« Premièrement nous rendrons grâces à Dieu notre père des bénédictions qu’il lui a plu répandre sur nos personnes et sur nos biens, et surtout de la douceur, de la tranquillité, parfaite union et amitié en laquelle nous avons vécu ensemble… »

Page de titre du testament de Samuel Majou publié en 1854.

Mais derrière ces mots pleins de piété et de sérénité, le testament nous révèle à quel point la vie de la  famille a été bouleversée par la répression religieuse décidée par Louis XIV. En 1685, l’édit de Nantes qui garantissait et protégeait le culte protestant depuis Henri IV a été révoqué.  Samuel Majou et sa femme ont alors été contraints d’abjurer leur foi.

« … notre roi cassa tous nos édits, chartes et privilèges et fit abattre nos temples. Il envoya des régiments de dragons exercer des cruautés incroyables sur ceux qui ne voulurent pas donner des actes devant les curés, portant qu’ils renonçoient à l’hérésie et erreurs de Calvin et qu’ils embrassoient les cérémonies de l’église romaine. La violence du dragon nous fit tomber en cette lâcheté, comme les autres, dont nous demandons pardon à Dieu ».

Samuel Majou a survécu 5 ans à son testament. Il est décédé à Saint Germain de Prinçay en mars 1701. Sa femme l’a rejoint en juin 1709.

Une grande famille

Samuel et Marguerite Majou ont eu ensemble 9 enfants qui ont tous vécu.

« Nous avons encore bien des grâces à rendre à ce bon Dieu et père des bénédictions qu’il lui a plus de répandre sur nos enfants, leur ayant donné à tous un esprit de douceur et d’obéissance envers nous. Nous les avons vus au nombre de neuf… »

  • Philippe, la fille aînée du couple, s’est mariée vers 1680 à François de La Douespe, diacre protestant. Il descend d’une famille de bourgeois normands installée à Mouchamps vers 1570 à la suite du chef huguenot René de Rohan. De nombreux mariages avec les Majou ont créé des liens très étroits entre les deux familles.

François de la Douespe s’est enfui avec sa femme aux Pays-Bas. « …qui ont sorti du royaume à cause de la persécution,en ladite année 1685, qui sont présentement établis à Balk, en Frise… ». Dans la précipitation de leur départ, ils ont laissé la garde de leur fille aînée Charlotte, encore toute petite, aux grands parents Majou.

Dans le testament, ils ne sont pas oubliés. « Si Dieu ne permet pas que nos chers enfants …  soient de retour en ce royaume lorsque vous ferez vos partages, donnez-leur ce qui leur appartiendra comme à un de vous autres, et leur en faites tenir le revenu où ils seront ». « Nous leur donnons ici en particulier notre bénédiction, et à leurs petits enfants ».

Les La Douespe ne revinrent jamais en France. Ils eurent dans leur exil 3 autres enfants dont deux devinrent pasteur à La Haye et à Londres.

  • Samuel, deuxième enfant et premier fils de Samuel et Marguerite Majou, « sortit avec sa sœur et pour la même cause. C’est lui qui est mort à Zell, en Allemagne, de la petite vérole ». Zell, petite ville des bords de Moselle, faisait partie des états du duc de Brunswick, protecteur des huguenots en fuite. Le duc était marié à une poitevine, Eléonore Desmier d’Olbreuse, né à Usseau (79)  en 1639.   

Enfermé à La Bastille pour ses opinions religieuses.

En 1689, Samuel Majou, qui refusait d’assister aux offices catholiques, a été arrêté et enfermé à Paris à la Bastille pendant 18 mois.

« Nous n’avons point assisté au service (catholique), ce qui a attiré à moi Majou 18 mois de prison à la Bastille, à Paris. Mais mon Dieu m’a soutenu contre les menaces, maux et promesses qu’on m’a faits. En sorte que j’en suis sorti sans avoir rien accordé aux religieux destinés à me rendre, et aux autres en même état, des visites de remontrances et de menaces. »

Gravure de la Bastille au XVIII ème siècle. Photo gallica.bnf.fr

A cette occasion, Charlotte de La Douespe a été enlevée à ses grands parents et enfermée dans un couvent.   « Charlotte … qu’on nous a violemment ravie, et mise à la Propagation à Luçon »….

Dans le testament, elle n’est pas oubliée : « … nous vous demandons à tous de faire ce que vous pourrez pour l’en retirer et élever parmi vous. Nous l’exhortons d’être bien sage et craignant Dieu. »

Charlotte n’est ressortie du couvent qu’en 1700, convertie catholique, pour se marier avec Charles René de Farcy, 22 ans, lui aussi issu d’une famille protestante du Maine qui abjura en 1685. Charlotte aura deux enfants, deviendra veuve en 1707 et décédera en 1740 dans la religion catholique.

Un testament plein de sagesse et de règles de morale.

Dans leur testament, les époux Majou donnent de nombreux conseils de vie et de morale à leurs enfants.

«  Aimez-vous cordialement, courez au secours l’un de l’autre, n’ayez qu’un même sentiment ; que le partage de notre peu de biens n’empêche pas qu’ils deviennent communs pour le secours les uns des autres. Ayez toujours la crainte de Dieu devant les yeux, et il ne vous abandonnera point… »

« Souvenez-vous que vous avez pris alliance en la religion de Dieu et de vos pères… ne renoncez jamais à cette alliance : … faites qu’elle soit perpétuée en vos familles, de génération en génération. »

«  Il faut tout voir et entendre et en profiter, mais garder le silence ; et au fond, c’est un grand péché envers Dieu que de calomnier quelqu’un, quoi même que la calomnie fut véritable… »

«  Il faut cultiver l’amitié de tout le monde quand on le peut … Sur toutes choses être charitable… il ne faut point que ce soit par ostentation mais en vraie charité. »

« N’ayez ni procès ni querelle avec personne ; perdez plutôt du vôtre … Ne vous mettez pas en l’esprit que vous avez du bien assez pour vivre sans rien faire. »

«  Soyez reconnaissants du bien qu’on vous aura fait ; c’est un grand défaut que l’ingratitude. Si dans le monde on nous a fait injure, nous vous ordonnons de l’oublier… nous oublions tout le tort qui pourroit nous avoir été fait et demandons pardon à tous ceux que nous pourrons avoir offensés. »

« Lisez la sainte écriture et toutes sortes d’autres livres, ceux de piété singulièrement… »

 

Le destin tourmenté des autres enfants Majou

La vie des 7 autres enfants Majou fut également bien tourmentée. Ils obéirent tous aux exhortations de leurs parents : aucun n’abandonna la religion réformée malgré de nombreuses persécutions.

  • La troisième, Marguerite, épousât en 1696 elle aussi un de La Douespe. Sans enfant, elle mourut en 1744 à St-Germain-de-Prinçay, toujours protestante. .
  • Le quatrième, Jean est mort en 1712, célibataire.
  • La cinquième, Françoise, se maria en 1703. Elle fut dénoncée en 1725 par le curé du Boupère comme « riche protestante opiniâtre» avant d’y mourir en 1731. Elle eut une fille.
  • La sixième, Catherine, se maria en 1709. Elle est décédée en 1754 à Montournais, toujours protestante.
  • La septième, Louise, mourut en 1745. Le curé de St-Germain de Prinçay écrivit à cette occasion après avoir parlé à sa famille « Ils m’ont assuré qu’elle était morte comme elle avait vécu dans la religion prétendue réformée, je n’ai pas jugé à propos de l’inhumer». Elle fut enterrée dans un cimetière privé.
  • Le huitième enfant, Daniel, hérita de la Maupetitière de Pugny. Marié en 1715 à une cousine Desmé, il fut dénoncé en 1725 comme protestant opiniâtre par le curé de St-Germain-de-Prinçay. Sa ou ses filles lui furent alors enlevée(s) et élevée(s) dans un couvent à Luçon. Il est décédé protestant en 1750. Paul Marchegay, qui fit publier en 1854 le testament Majou, est son descendant.
  • Le neuvième enfant, François, s’est marié en 1711. Identifié comme protestant opiniâtre, ses enfants lui furent enlevés sur ordre le 30 octobre 1736. Son fils Jules, 13 ans, fut envoyé chez les jésuites à Poitiers. Sa fille Catherine 6 ans fut emmenée au couvent de l’Union chrétienne à Luçon. François Majou mourut 3 semaines plus tard au Tallud Sainte Gemme (85). Etait-il malade et on en profita alors pour lui enlever ses enfants ? Est-il mort de chagrin après leur enlèvement ? Malgré son éducation forcée, son fils Jules Majou fut toute sa vie d’adulte un protestant convaincu.

 Un descendant illustre du couple Majou.

De tous les descendants Majou, seule leur petite fille enlevée dans l’enfance, Charlotte de la Douespe,  vécut dans la religion catholique.

100 ans après son enlèvement, un de ses arrière-petits- enfants devint particulièrement célèbre au moment des guerres de Vendée. Il s’agit de Charles Artus de Bonchamps (1760-1793), général vendéen parmi les plus braves. Mortellement blessé à la bataille de Cholet le 17 octobre 1793, il est resté pour la postérité celui qui accorda sur son lit de mort, à Saint Florent le Vieil, la grâce à 5000 prisonniers républicains que certains voulaient exécuter.

Mausolée de Bonchamps à Saint Florent le Vieil par David d’Angers. Photo Wikipedia

Ce geste d’humanité, effectué dans le cadre d’une armée en déroute, dans une période de violence déchaînée, nul doute que ses ancêtres Majou l’auraient particulièrement apprécié.

J-P. Poignant

Un grand merci au Pasteur Vatinel qui m’a précieusement aidé pour reconstituer la vie des mariés de Pugny.

L’extrait du livre de l’abbé Mulon sur Pugny qui évoque le mariage Majou.

Le testament de Samuel et Marguerite Majou sur Google books. https://books.google.fr/books/about/Testament_de_Samuel_Majou_et_de_Margueri.html?id=MGU_AAAAcAAJ&redir_esc=y